I don't need alcohol to make bad decisions | Ft.  Jónas Valduson

Sortir en pleine semaine n'était pas vraiment dans les habitudes de l'homme d'affaires, bien trop bourru de boulot pour s'octroyer des moments off de ce type, même s'il y avait de ces fois où il décidait d'envoyer paître ses propres principes et de simplement se prendre le temps. Déconnecter un peu de toutes pressions qu'il s'imposait, juste vivre. Ce qui n'était pourtant pas le cas ce soir, pas réellement. Après sa journée au bureau il avait dû se rendre à un dîner avec certains de ses collaborateurs, le genre de repas atrocement chiant où il n'était question que de chiffres et de golf. Pas que parler de son boulot le dérangeait, loin de là, mais quand il quittait le bureau, le brun aimait qu'on lui foute la paix, il appréciait laisser tomber le masque et se retrouver seul avec lui-même, ou du moins pas entouré de bobos de la haute qui lui ressemblaient bien trop. Après le repas, il avait été décidé qu'ils finiraient la soirée dans un bar et Jónas avait suivi. Pas de force, mais parce-qu'au moins, dans un bar, il pourrait évoluer plus tranquillement qu'au restaurant, s'éclipser plus facilement. De toute façon, même s'il rentrait chez lui immédiatement, sa nuit n'en serait pas meilleure, alors autant déconnecter encore un peu.

Le lieu dans lequel ils se rendirent avait le même standing que le précédent : un bar huppé, où les cocktails coûtaient un bras et où la clientèle était du type guindée. Passant par le bar avec ses pairs, le quarantenaire commanda un cognac avant que tous se dirigent vers une table. À peine furent-ils installés que le grand brun leur signifiait qu'il avait un coup de fil à passer et s'éloignait. Mensonge. La vérité était simplement qu'il souhaitait se prendre quelques minutes pour réellement souffler. Évoluant dans la foule en prenant une gorgée du liquide ambré qui flottait dans son verre, il évita de justesse un type sans doute trop ivre que les vigiles ne tarderaient pas à sortir de là avant que les choses ne dérapent. La manière dont les gens parvenaient à totalement perdre le contrôle lorsqu'ils buvaient trop était relativement impressionnante, pitoyable aussi. Bien sûr, l'Islandais ne pourrait pas se vanter de ne s'être jamais pris de cuite, mais jamais il n'avait perdu le contrôle de sa personne, du moins pas depuis cet accident qui lui avait valu sa thanatophobie.

Profitant d'un trou dans la foule pour avancer plus rapidement, ses prunelles sombres accrochèrent un visage connu. Enfin, ''connu'', le mot était bien fort, mais la concernée l'avait suffisamment marqué pour qu'il s'en souvienne sans grand mal, la reconnaissant immédiatement dans les lumières dansantes du bar. La petite infirmière qui lui avait tenu tête lors de sa dernière visite à l'hôpital. Un sourire amusé étirant ses lèvres, il se dirigea vers elle et son groupe de copines. Pourquoi se priver de pimenter un peu la soirée s'il pouvait le faire ? D'autant plus qu'il n'avait pas totalement eu le dernier mot la fois d'avant, et qu'il n'avait pas l'intention de lâcher le morceau. « Mesdames. Miss Jenkins » lança-t-il d'abord à l'adresse des fameuses demoiselles puis à celle de la concernée, son expression presque provocatrice illuminant ses traits. Jenkins oui, parce-qu'il s'était évidemment renseigné. « On essaye de se mettre dans la peau des humains normaux ? » demanda-t-il à la brunette, s'amusant de la piquer de la sorte, ne se défaisant toutefois pas de cet habituel sourire.

Le quarantenaire ayant lancé les hostilités en venant s'adresser à la jeune femme, il ne s'étonna pas le moins du monde qu'elle poursuive sur cette lancée. Au contraire, le fait qu'elle soit d'un coup trop mielleuse l'aurait franchement étonné voire même rendu méfiant, mais là... elle était simplement comme elle avait été lorsqu'ils s'étaient rencontrés à l'hôpital : piquante avec une pointe d'agacement et de malaise qu'il s'amusait de voir au fond de son regard. Il se doutait pertinemment qu'elle aurait préféré qu'il lui foute la paix, et c'était précisément pour cette raison qu'il avait décidé de venir la saluer. Bien évidemment, si elle lui demandait il répondrait qu'il aurait été mal poli de l'ignorer alors qu'ils s'étaient déjà rencontrés, que c'était la base de la politesse. Et il ne douterait pas une seconde qu'elle percevrait le mensonge derrière ses propos simplement parce-qu'il ne ferait aucun effort pour qu'elle y croit vraiment. Ce qui ne serait pas le cas de ses comparses, visiblement suffisamment éméchées pour ne pas se rendre compte de l'ironie qui perlait dans ses paroles.

Jónas s'était donc contenté de sourire à sa salutation, enchaînant sans tarder avec une nouvelle pique, par simple envie de la contrarier d'avantage. Oui, il aurait pu se contenter de la saluer puis reprendre le cours de sa propre soirée mais celle-ci était d'un ennui tel que venir bousculer celle de l'infirmière était un plan bien plus intéressant. Il ne retint pas un soufflement mi-amusé mi-dédaigneux à sa réponse, laissant filer un « il y a encore du chemin à faire visiblement » qui en disait long. Si elle avait vraiment l'intention d'essayer d'être comme des humain lambdas, elle devrait boire un peu plus pour rattraper ses copines et finir dans le même état qu'elles. Aurait-elle été moins contrariante alors ? Peut-être.

À son tour apparemment de l'attaquer, et sa question le poussa à pencher légèrement la tête sur le côté, cet habituel sourire ironique planté sur les lèvres. « J'ai mon gel hydroalcoolique et de la javel dans ma veste, au cas où » rétorquait-il, bien conscient de la pique, avant de  hausser les épaules. « Et pour supporter la populace- » sur ces mots il levait doucement son verre de cognac, en prenant une gorgée par la suite en défiant la plus jeune du regard. Sans doute se lasserait-il rapidement de ce petit jeu complètement débile mais, pour l'instant, ça l'occupait suffisamment.

Il observait les amies de la brune de cet air qui mêlait supériorité et amusement, avant de la regarder à nouveau elle. « Vous fêtez quelque chose ? » Et il eut bien une réponse, mais pas de la peste. « Mon anniversaire ! Moi c'est Charlotte » expliquait une jeune femme du groupe en venant prendre son amie par les épaules, les toisant l'un après l'autre. « Vous vous connaissez ? » « Oui. » Une réponse simple et concise qui lèverait sans doute d'autres questionnements de la part de la curieuse qui avait l'air d'avoir ingurgité un paquet de verre en trop. Et Jenkins allait devoir les anticiper si elle ne voulait pas se trouver prise au piège parce-que là, dans le cercle de la jeune femme, il avait bien plus moyen de poser des problèmes qu'avec elle seule à l'hôpital.

La gêne sur le visage de la jeune infirmière avait quelque chose de particulièrement satisfaisant, peut-être même plus que lorsqu'elle avait eu cet air renfrogné lors de leur premier échange, parce-que là il ne se contentait pas de contrer ce qu'elle avançait et de jouer au plus intelligent, là il rentrait dans son cercle personnel sans aucune invitation. Des limites qu'il était mal vu de franchir, surtout au vu des tensions entre les deux, mais l'Islandais était curieux de voir jusqu'où elle irait, tester les limites par simple plaisir de la voir potentiellement sortir de ses gonds et passer pour la pote hystérique qui ne savait pas s'amuser. Lui avait de quoi tenir et supporter, il calmerait son agacement dans ce verre de cognac même s'il connaissait suffisamment ses propres imites pour ne pas abuser.

Alors qu'il s'intéressait à la raison de leur présence dans ce lieu, ne se privant pas pour poser la question, ce fut une autre jeune femme qui lui répondait, se présentant dans le même temps. Charlotte donc. La brun enregistrait le prénom même s'il s'en fichait pas mal, simple automatisme dû à ce monde dans lequel il évoluait : plus on en savait sur les autres, même de petits détails, et plus il était facile de se faire une place, passer pour cette personne attentionnée et à l'écoute, un masque qu'il avait également appris à porter tout naturellement avec le temps. L'infirmière jugea utile de préciser d'avantage leur lien, hochant la tête alors qu'il reprenait une nouvelle gorgée du liquide ambré qui flottait dans son verre. Le sourire qu'il servit alors à la petite peste était tout aussi ironique que les propos de la concerné. « Ravi que vous l'admettiez enfin » lui répondait-il, bien conscient qu'elle était dans une pure exagération, mais entrer dans ce petit jeu était apparemment une manière relativement efficace d'agacer la jeune femme.

Tu crois qu'il va nous offrir une tournée ? La question de Charlotte lui fit arquer un sourcil, son expression difficilement déchiffrable. Était-il outré par la demande culottée ou amusé ? Des cris enthousiaste avaient d'ailleurs rapidement suivi la question et, contre toute attention, Jenkins approuvait. Pour ne pas peiner son amie ou pour tenter de le bloquer lui ? Qu'importait. « Ce serait avec plaisir, mais uniquement si Miss Jenkins accepte également un verre » rétorquait-il en un sourire, ses prunelles sombres dardées sur elle. Pas besoin d'avoir surveillé depuis le début pour se rendre compte qu'elle avait l'air bien plus sobre que ses amies, bien plus dans la retenue. Les raisons ne l'intéressaient pas vraiment, ce qu'il voulait était la bloquer comme elle avait tenté de le faire.

Si elle refusait, ses amies seraient hautement déçues de ne rien recevoir. Si elle acceptait, elle devrait également accepter l'idée qu'il soit dans les alentours et, inutile de se leurrer, il ne se priverait pas pour lui rappeler cet élan de gentillesse qu'il aurait eu, comme si elle avait une dette. « Vous n'allez pas priver Charlotte de ce petit cadeau le soir de son anniversaire n'est-ce pas ? » ajoutait-il en attendant la décision, une touche de provocation perceptible dans son regard.

Les motivations qu'il mettait derrière ses donations ? « Vous estimez donc me connaître suffisamment pour savoir ce qu'il se passe dans ma tête ? Un peu prétentieux vous ne pensez pas Miss Jenkins ? » répondait-il du tac-o-tac, supposant ce qu'elle sous-entendait de par ses propos. Quelqu'un de moins affirmé que lui aurait pu prendre peur à l'idée d'être potentiellement percé à jour, voire même s'offenser s'il était blanc comme neige, mais l'Islandais savait garder son sang-froid, surtout gace à des pimbêches pareilles qui pensaient avoir tout compris à la vie sous prétexte qu'elles côtoyaient la mort de près. Le sujet rapidement amené sur cette fameuse tournée que les amies de la concernée lui demandaient de payer, il acceptait à une condition. Loin de lui l'envie de profiter de Jenkins, très loin, mais puisqu'il donnait de sa personne en acceptant la demande, elle pouvait en faire de même pas vrai ? Du donnant donnant, qu'elle le prenne pour un idiot, il le lui rendrait tout aussi bien simplement pour la voir capituler.

La remarque de la brune le poussa d'ailleurs à arquer un sourcil un brin blasé. Faire boire les jeunes femmes ? Si elle savait combien ça ne lui importait pas le moins du monde. « A nouveau vous courrez vers des conclusions hâtives. Ça doit être fatiguant d'être constamment sur vos gardes de la sorte » rétorquait-il en secouant la tête. Assez ironique considérant le fait qu'il était lui-même aux aguets de tout ce qu'il se passait autour de lui, à se méfier du monde entier comme si n'importe quel inconnu pouvait lui planter un couteau dans le dos. Mais mieux valait être trop prudent que trop téméraire pas vrai ? À ses nouveaux mots lourds d'ironie, il affichait ce sourire tout aussi faux, le bruit de la musique un bref instant recouvert par les acclamations de joie du groupe d'amies de la jeune femme. Et forcément elle n'en resterait pas là, s'approchant de lui en plantant son regard dans le sien pour essayer de savoir une fois encore ce qu'il pouvait y avoir derrière sa réponse favorable visiblement trop gentille à son goût. Arquant à nouveau un sourcil, il penchait la tête sur le côté, la jaugeant en silence. « Pourquoi devrait-il forcément y avoir une dette ? » Parce-qu'il était lui, peut-être, et qu'un homme d'affaires faisait rarement quelque chose gratuitement, mais il ne pouvait décemment pas lui balancer qu'il souhaitait simplement la mettre dans l'embarras en imposant sa présence alors qu'elle était ses amies.

« Considérez simplement que je suis dans un de mes bons jours. » Et sur ces mots il s'éloignait, prenant la direction du bar afin de commander la fameuse tournée. Il terminait son propre verre, le laissant sur le comptoir, repartant vers le petit groupe avec un plateau en bois contenant un mètre de shooters de rhums arrangés. Simple mais efficace, chacune devrait trouver son petit bonheur parmi les nombreux arrangements. Déposant le bien sur la table autour de laquelle se trouvaient les concernées, il se redressait, adressant un regard relativement indéchiffrable à l'infirmière avant de rattraper de justesse l'une de ses amies revenant s'asseoir, visiblement trop éméchée pour contrôler parfaitement son corps. Un sourire avenant alors qu'elle se tenait à son bras jusqu'à être enfin assise, les premières commençant déjà à sentir les contenus de chaque petit verre. Le quarantenaire reportant son attention sur Jenkins, il inspirait. « J'ose espérer que vous saurez les ramener chez elles en un seul morceau » disait-il sur un ton de conversation en référence à la manière dont l'une d'elle avait perdu l'équilibre. Pas qu'il doutait de la potentielle loyauté de la brune, ni même qu'il se souciait réellement du sort des jeunes femmes, mais faire comme s'il s'en inquiétait sans pour autant en faire une affaire d'état ne pouvait pas être de trop.