« Tu es sûr que c’est une bonne idée ? Il est encore si jeune… »
La jeune femme semblait profondément inquiète, regardant avec tendresse le petit garçon qui jouait paisiblement dans le jardin. Enfant unique, il était assez solitaire, plus souvent martyr que bourreau mais il semblait toujours heureux et d’un optimisme qui semblait sans frontière. Son innocence et sa joie de vivre en faisait un garçon agréable et serviable que sa mère chérissait sincèrement. Son père, en revanche, ne semblait voir en lui que le digne héritier mâle dont il avait besoin. Toujours froid et distant, paraissant presque déçu que l’enfant n’est pas encore la volonté de se battre. De même, il n’aimait pas le sport, préférant les échecs ou la lecture. Il n’aimait pas les conflits et parlait trop souvent pour ne rien dire. Un garçon qui devait impérativement s’endurcir et à qui la pension ferait un bien fou.
« Bien sûr que j’en suis sûr. Regarde le. Il est du genre à s’excuser quand on le bouscule, il faut qu’il grandisse un peu, qu’il endurcisse ou il n’arrivera à rien. »
Répondit l’homme avec un soupir dédaigneux. Il ne haïssait pas son fils mais il était déçu. Il voulait un garçon, un vrai, un de ceux qu’on inscrit au rugby ou à un sport de combat, un de ce qui traumatise les autres dans la cours, pas celui qui rentre avec le nez en sang… Il avait eu la mauvaise pioche. La femme se pinçait les lèvres, le cœur brisé à l’idée de se séparer de son tout petit. Elle souffrait aussi de cette relation, de la déception de son époux. Son amour pour les deux hommes était sans bornes et elle ne voulait pas choisir. Laisser son fils partir en pension était donc une solution facile. Liam en sortirait grandit et son époux serait heureux, ce n’était qu’une mince prix a payer.
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« Mon poussin tu sais que tu peux me dire si ça ne va pas. »
La voix de la sagesse, toujours douce et calme, la lumière qui menait au port. Le jeune homme était rentré du collège pour les vacances, seules occasions où il pouvait voir ses parents et passer un peu de temps avec sa mère. Son père lui était au travail et il ne l’aimait pas. Au grand désespoir de sa mère d’ailleurs mais il n’arrivait pas à le voir autrement que son géniteur. Un homme qu’il appelait
père sans grande conviction et qu’il ne pouvait que vouvoyer. Il le lui rendait bien remarque, souvent absent quand il rentrant, toujours distant et ne cachant jamais sa déception.
« Ne t’en fais pas tout se passe bien. Elle s’est déchirée parce que j’ai été idiot c’est tout. »
Liam ne mentait jamais, sauf à sa mère et uniquement pour ne pas l’inquiéter. Mais elle n’était pas dupe, remarquant aisément les légères traces de sang sur le col de sa chemise déchirée. De toute évidence, il s’était encore battu et le bleu encore visible autour de son œil prouvait bien qu’il n’était pas l’instigateur de cette affaire. Il n’avait jamais été le garçon qui cherche les conflit, il était trop gentil. Il n’était pas toujours le bouc émissaire non plus, souvent protecteur des plus faibles, prenant dignement les coups à leur place. Ça ne le dérangeait pas, il savait se relever, bien plus fort que son père ne le pensait.
« Quoi que dise ton père, je suis fière que tu ne leur rende pas les coups. Ils ne méritent pas que tu t’abaisses à leur niveau. Tu es courageux, c’est une force et ne l’oubli jamais. »
Elle caressait tendrement sa joue, lui tirant un sourire. Il n’avait pas honte de lui malgré tout, il n’avait pas peur de ce qu’il était. Les autres, ils s’en fichait pas mal à vrai dire. L’enfant solitaire, l’adolescent rêveur toujours dans sa bulle. La pension ne lui avait pas fait de mal au fond, le poussant à se sociabiliser un peu à défaut de faire de lui un requin. Non, il n’était pas un violent prédateur, il n’était pas fourbe ou agressif. Il était plus comme un gentil renard, malin mais sympathique. Ce n’était pas le dessein de son père mais c’était ce qu’il était et il n’avait pas l’intention de changer.
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« Oui je suis certain maman ne t’inquiète pas. »
« Tu es sûr que tu ne veux pas un peu plus d’argent au moins ? »
« Je me débrouillerais et ce n’est pas comme si je ne comptais plus jamais t’adresser la parole. Et puis je ne serais pas en terre inconnue non plus, tonton veillera sur moi. »
Il n’était pas inquiet, pas pour lui. Quitter la ville était devenu presque vital et c’était le cas depuis longtemps déjà. La pression imposée par son père l’étouffait et il avait besoin de prendre l’air. Le destin de sa mère le perturbait néanmoins davantage. Depuis sa fausse couche il y a presque dix ans, elle avait eu la fâcheuse tendance à enchaîner les dépressions et l’absence du paternel n’aidait pas. Malgré tout, la culpabilité avait finit par s’effacer un peu, écrasée par une étrange forme de lassitude. Le regard de cet homme qui était presque un étranger, la déception constante que ses actions entrainées… Rien n’était assez bien et il n’en pouvait plus. Sa mère le comprenait et acceptait de le laisser aller. C’était aussi ça son rôle de mère, elle ne voulait que son bonheur. Il sauta donc dans un avion pour commencer sa nouvelle vie. Dix-huit ans, un passeport et un Visa en règle, quelques sous devant lui. Une forme de rébellion mais pas trop grosse quand même puisqu’il quittait sa terre pour suivre les études que son père voulait pour lui. Pas une vocation mais il n’avait pas mieux en tête.
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La trentaine… Ce n’est pas toujours un cap facile à franchir même quand on a une bonne situation et presque tout pour être heureux. Enfin presque tout… Liam avait un travail, un Visa et un toit sur la tête mais il était encore aussi solitaire que dans sa jeunesse. Quelques flirts sans grande importance, juste
elle, elle qu’il n’arrivait jamais vraiment à oublier et qu’il cherchait inconsciemment toujours chez les autres. Ils avaient passé plusieurs mois ensemble, même plusieurs années si on mettait tous ces mois bout à bout… Beaucoup de hauts et de bas, de caprices auxquels il avait toujours cédé par amour.
Il faut dire qu’elle avait tout pour plaire, une famille extraordinaire, de beaux cheveux dorés, des yeux à vous tuer d’un regard et un corps de rêve… Elle était un peu plus jeune, à peine, et suivait des études d’avocate qu’elle était bien partie pour réussir haut la main à l’époque où ils s’étaient rencontrés. Qu’est-ce qu’il avait pu l’aimer… Et qu’est-ce qu’il avait eu du mal a digérer leur dernière séparation ! Ça n’avait pas été comme les autres fois, plus brutal et sans éclat de voix. Trop simple.
C’était il y a à peine plus d’un an et il s’en souvenait comme si c’était hier.
Ça ne peut plus marcher, ce n’est pas toi c’est moi… Toutes ces phrases idiotes qu’il avait toujours crains, des excuses en bois qu’aucune de ses paroles n’avaient pu contrer. Il s’était senti minable, vidé de toute volonté, perdu. Mais le pire est qu’il avait longtemps espéré qu’elle revienne comme elle le faisait toujours. Juste un coup de tête, une broutille. Il avait attendu et elle n’était pas revenue. Pas la moindre nouvelle jusqu’à ce soir là.
Les sourcils froncés, il avait coupé le son de la télé se demandant si les pleurs qu’il entendait venaient du postes ou d’ailleurs. Un bébé ? Une femme ? Les deux ? Il tendit l’oreille, il n’y avait pas de bébé chez ses voisins les plus proches et ce n’était pas si mal isolé… Il sursauta quand il entendit quelqu’un frapper à sa porte. Quelqu’un qui connaissait le code de l’entrée visiblement. Il fallut que la personne frappe à nouveau pour qu’il réagisse enfin, se décidant à se lever pour aller ouvrir.
Son cœur chuta comme une pierre dans son estomac.
Elle était là, toujours somptueusement magnifique malgré ses yeux rougis par les larmes. Ses traits étaient tirés aussi mais ce n’est pas ce qui le choquait le plus : Entre ses bras, serré contre elle, un bébé. Il était tout petit, presque minuscule. Les sanglots qui l’étranglaient rendaient ses paroles incompréhensibles. Ou était-ce son propre cerveau qui avait disjoncté. Il avait l’impression d’être dans un rêve qui ressemblait atrocement à un cauchemar. Elle était là, il était heureux, mais ses paroles… Mais de quoi parlait-elle au juste ? C’était qui
ils ? Et ce bébé ?
« Attend attend il va valoir être un peu plus précise là… Qu’est ce que tu veux de moi au juste ? »
Ils étaient assis sur son canapé, il tentait d’être calme mais elle ne l’était pas, semblant nerveuse, regardant sans cesse vers la porte comme si elle s’attendait à ce que quelqu’un l’enfonce… C’était du délire, sûrement un mauvais rêve dont il allait se réveiller. Ça ne pouvait pas être autre chose, c’était trop fou. Et d’où venait cet enfant bon sang ? Ça ne pouvait pas être de lui ! Ils n’avaient jamais eu d’accidents ! Et pourquoi lui avoir caché ? Elle savait qu’il était fou d’elle, elle avait même refusé sa demande en mariage ! Pourquoi garder l’enfant alors ? Si elle ne l’aimait pas… À moins ce que ?
« Je ne peux rien te dire Liam… C’est trop dangereux… Il… Il n’a pas d’autre famille que toi, c’est trop… Je n’avais pas le choix. »
Elle pleurait toujours à chaudes larmes alors que l’enfant semblait s’être assoupie dans ses bras. Trop petit pour ressembler à qui que ce soit et, de toute façon, il ne l’avait pas vraiment vu… Dangereux de quoi ? Et quel âge avait-il ? Né sous X visiblement, un orphelin sans nom qui serait mit en foyer si lui ne faisait rien. Son fils, elle voulait
juste qu’il le reconnaisse et lui offre un nom, une famille. Malgré ses questions il n’obtint aucune réponses. Elle ne semblait pas s’inclure dans la dite famille, ne cessant de parler de danger de l’absence de choix. Elle jurait sur tous les saints qu’il était de lui et rien ne lui prouvait le contraire.
Il parvint à la convaincre de rester pour la nuit en échange de sa promesse de reconnaître le petit et de s’en occuper. Que pouvait-il faire ? S’il était vraiment son fils, il ne pouvait pas l’abandonner. Et elle semblait si mal… Il dormit sur le canapé cette nuit là, la laissant avec le bébé dans son lit. Dormir était un bien grand mot remarque… Et pourtant ce sont les cris du petit qui le réveillèrent. Elle avait disparut, lui laissant un sac avec le nécessaire pour quelques jours et une liasse conséquente de billets… Il y avait une lettre aussi mais rien de plus que ce qu’elle lui avait dit la veille.
Il tenu sa promesse.
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Jimmy avait grandit en sachant pertinemment qui était sa mère. Liam n’avait pas mentit, lui disant qu’elle avait du partir mais qu’elle l’aimait. Il était encore petit, les questions n’allaient pas loin… Et Liam était un bon père. Il faisait de son mieux même s’il avait un peu de mal à garder la tête hors de l’eau. Quand son père mourut en début d’année, il décida de se plier au testament en revenant en Écosse pour reprendre l’entreprise familiale. Il aurait été dommage de se priver d’une telle opportunité. L’agence marchait bien, c’était fiable… Et il ne voulait pas laisser sa mère seule.
Cette dernière était aussi ravie de pouvoir enfin s’occuper pleinement de son petit-fils, économisant ainsi la nounou à Liam. Jimmy ne fut pas triste de quitter l’Amérique, il est comme son père à son âge : optimiste et toujours joyeux. Pour lui c’est une nouvelle aventure pleine de possibilités. Pour Liam c’est un saut dans le vide dans filer de secours mais il n’est plus a ça près… Après tout, il est en chute libre depuis que le petit est entré dans sa vie. Il n’a d’ailleurs plus eu la moindre nouvelle de la jeune femme ou de sa famille depuis ce fameux soir… Grand mystère qu’il ne cherche plus vraiment à éclaircir. Il faut qu’il tourne la page lui aussi, qu’il s’offre une nouvelle vie.