« Bràthair !!!! Bràthair !!! Regarde ce que j'ai trouvé !! »
J'étais rentrée comme une fusée dans la maison, à bout de souffle, mes mains en avant, jointes en un petit abri. Mon frère était à l'intérieur, surpris par mon enthousiasme même s'il y était habitué. Il se redressa, légèrement inquiet sur le coup, avant de lever les yeux au ciel. Je n'en étais pas a mon coup d'essai, surtout depuis quelques temps...
Soupira-t-il, espérant que ça suffise à calmer mon enthousiasme. Bel essai mais complètement stérile puisque je lui secouais toujours mes mains sous son nez, un air inquiet sur le visage. J'avais récupéré un petit oiseau cette fois, il était tombé du nid et semblait un peu patraque. Il était clairement en meilleur état que le rat que j'avait récupéré la semaine précédente...
« Mais Bràthair il respire cette fois ! »
Dis-je, presque suppliante, ouvrant de grands yeux comme le chat potté. Mon frère était gentil, avec moi encore plus qu'avec quiconque... Il se redressa donc pour s'emparer de mes mains afin d'observer ma trouvaille. Il fit une grimace, retenant un nouveau soupir, puis finit par se lever. Un immense sourire illumina alors mon visage, mon petit cerveau bouillant déjà de mille idées pour sauver le petit oiseau.
« Il faudra lui donner à manger ! Peut-être qu'il va falloir que je mâche avant... Puis dans une paille peut-être ? Et il faudra lui mettre de l'eau aussi mais... Tu crois que ça boit comme un chat ? Et il faudra lui mettre une petite couverture aussi pour faire comme si sa maman le couvait ! Puis aussi le mettre dans l'obscurité le soir pour qu'il dorme. Tu crois que c'est une fille ? Moi je pense que c'est un garçon plutôt, je voulais l'appeler Piout mais c'est peut-être un peu idiot... Tu en penses quoi ? »
Alors oui, j'étais déjà très bavarde mais c'était encore pire quand j'étais lancée dans un sujet que j'aimais... Fergus avait beaucoup de mérite de me supporter, surtout qu'il était bien moins expansif que moi ! Docilement quand même, il m'aida à sauver le petit oisillon que nous avions finalement appelé Eun. Et ce ne fut que le premier d'une longue série de bestiole que j'avais sauvé, avec son aide le plus souvent. C'est là qu'est nait ma passion pour mon futur métier, j'avais huit ans.
Mon nez saignait toujours malgré le gros mouchoir que la maîtresse avait calé dedans. Elle m'avait sacrément sermonné d'avoir réagit comme ça mais je n'allais quand même pas laisser ces Amadáns (imbéciles) traiter mon frère de voleur ! Ils étaient plus grands que moi, ils avaient pensé judicieux de se moquer de ma famille... Mais c'était sans compter sur le sang Écossais qui coulait dans mes veines ! Entre ma mère avec son caractère bien trempé, mon père avec ses récits de guerre et mon frère au poings facile, j'avais de qui tirer !
N'écoutant que mon courage, j'avais donc lancé un énorme coup de genoux dans l'entre jambe du premier avant de tenter de jeter mon petit poing droit dans la figure du second... Malheureusement, il avait été plus rapide que moi, m'arrêtant dans mon geste avec une facilité déconcertante. Il ne serait sûrement pas allé plus loin, se contenant de me repousser en riant de moi... Seulement j'étais retournée à l'attaque comme une petite furie, l'injuriant en gaélique et cherchant à lui faire mal. Ce n'était pas la première fois qu'il me cherchait des poux, il avait même fait mal à mon frère une fois...
Il avait finit par me donner un coup de poing assez fort qui m'avait mise sur le carreau... Mon nez s'était mis à saigner mais je n'étais pourtant pas prête à battre en retraite. Sonnée, je m'étais relevée et allait me jeter à nouveau sur lui quand la maîtresse est arrivée. Pendant qu'elle me soignait, elle me faisait la leçon, m'expliquait que la violence ne résolvait rien, qu'il fallait rester calme et les éviter au possible.
« Balderdash ! » (balivernes) Avais-je murmuré entre mes dents, bien décidée à me venger un jour. Ils ne s'en sortiraient pas si facilement et la punition de l'école me semblait trop faible...
En rentrant à la maison, Fergus en avait rajouté une couche, s'empressant de me débarbouiller avant que mes parents ne se rendent compte de l'affaire. La maîtresse allait sûrement me balancer mais ça n'avait pas d'importance, je ne pensais déjà qu'à ma revanche... Peut-être de la colle dans leur sandwich ? Crever les pneus de leur vélo de sûr. Et sans doute un autre coup bien placé suivi d'une fuite rapide... Je devais cogiter sérieusement à un plan machiavélique.
« Tu n'iras pas les taper hein ? »
Demandais-je à mon frère, inquiète qu'il puisse se mettre en danger pour me défendre. Je l'en savais capable, ce ne serait pas la première fois. Il étouffa un rictus en secouant la tête, amusé par ma réaction et par le fait que je n'avais clairement pas écouté une seule phrase de ses reproches... Ça aussi ce n'était pas la première fois, j'étais aussi têtue que lui et que le reste de la famille Murray quand je voulais.
« Ne t'en fais pas Deirfiúr, et ne cherche plus à résoudre ça seule la prochaine fois. Ils ne méritent pas que tu leur réponde ces amadáns. »
Je croisais mes petits bras sur ma poitrine, une moue renfrognée. Il me prenait pour une petite fille fragile mais du sang de guerrière coulait dans mes veines. Nous étions des Murray, hors de question qu'on nous rabaisse ! Je ne comptais pas écouter ses conseils et cette brillante idée me valut quelques problèmes... Mais j'étais fière quand même, certains garçons avaient finit par me craindre. Une vraie terreur déjà, du haut de mes neuf ans.
« Tu sais que je ne t'en veux pas Cat'. C'est vos affaires après tout... »
J'avais treize ans et ma super copine Catriona venait de rompre avec mon frère. La jeune femme, plus âgée que nous, était très mal à l'aise et je dois bien avouer que je lui en voulait pas mal. Je les trouvais idiot tout les deux, ils étaient fait l'un pour l'autre ! Depuis tout petit, mon frère n'avait eu d'yeux que pour elle et je voyais bien que c'était réciproque. Dès qu'elle venait en vacance avec son frère, Fergus et Cat ne se lâchaient plus, presque comme si moi et son frère n'existions plus...
« Je sais... Mais c'est différent avec Andrew et... Tu sais que ça change aussi la donne. »
Cat avait quitté Fergus lors des dernières vacances et elle avait rencontré un Anglais à la rentrée, soit quelques jours seulement après être rentrée à la capitale... C'était ça qui m'avait fait le plus mal et je m'étais bien gardée d'en parler à mon frère. Je ne voulais pas lui faire de peine, assez pour avoir envisagé de ne plus jamais parler à Catriona de ma vie. Mon frère était ce qui comptait le plus pour moi. Seulement, Cat était enceinte et, comme nous étions comme des sœur, elle m'en avait parlé. J'étais jeune mes pas idiote : l'enfant pouvait être de mon frère.
« Moi, tout ce que j'en dis c'est que tu devrais en parler à Ferg... »
Il y eu un silence à l'autre bout du fil, j'entendais clairement les sanglots de mon amie et ça me fendait le cœur... Elle aimait mon frère, elle l'aimerait toujours, j'en étais sûre... Mais je savais aussi que Fergus était trop jeune et assez idiot pour accepter de garder le bébé et d'en prendre la responsabilité malgré tout... Pourquoi ne pas simplement avorter ? Elle était jeune elle aussi ! Elle avait la vie devant elle ! Puis cet Andrew... C'était sûrement juste le contre-coup de sa rupture, un faux coup de foudre, quoi qu'elle en dise.
« Ellie... Il ne peut pas être de Fergus et... Je ne veux pas lui imposer quoi que ce soit après ça... C'est mieux comme ça et... On sera heureux... »
Je n'étais pas convaincue et il me fallut un long moment pour m'en remettre moi aussi... Fergus ne put jamais vraiment oublier Cat et, de son côté, elle ne l'oublia jamais non plus. Prise entre deux feux, ne voulant que leur bonheur, j'acceptais donc de devenir la marraine de la petite Alice, persuadée qu'elle était ma nièce bien plus que ma filleule... La vérité finirait par nous sauter au visage et les choses finiraient par rentrer dans l'ordre... J'étais sûre de moi, de leur amour et de leur destin. Il fallait juste du temps et mon soutien.
« Jamie tu es sérieux ? Là, comme ça ? Je n'ai pas assez d'argent pour investir dans un truc pareil et... C'est de la folie ! »
Nous étions en pause, tout les deux installés dans un petit café désert, proche du cabinet vétérinaire où nous travaillions. Le patron n'était pas très sympathique mais nous étions heureux de travailler ensemble. Le jeune homme n'était pas encore en pleine forme mais il semblait aller mieux depuis quelques temps et j'étais fière de lui. J'avais encore quelques bons coups de pieds aux fesses à lui mettre mais c'était bien parti puisqu'il avait enfin décidé de sortir de chez ses parents pour travailler.
J'avais en effet réussit à le convaincre de faire cette formation pour devenir véto et je ne regrettais rien car il était vraiment très bon, comme s'il avait un sixième sens... D'ailleurs, il m'avait apprit beaucoup de choses alors que ça aurait du être l'inverse ! C'était vraiment sympa de travailler avec lui, même s'il ressemblait souvent à un ours bougon que j'adorais titiller. Un ours bougon qui avait une idée folle : acheter le cabinet médical de New Town, le retaper et m'en faire la co-propriétaire et co-gérante... De la folie !
« Et tu ne peux en vouloir qu'à toi-même ! » Plaisanta-t-il en me lançant un clin d'oeil complice. « C'est à cause de toi que je suis véto et je ne supporte plus ce mec... Il veut me pousser à être plus souvent dans le cabinet et c'est au delà de mes forces... Je peux pas faire ça sans toi, tu le sais bien. »
Je connaissais Jamie depuis longtemps, assez pour avoir eu la chance de connaître l'ancien modèle, le dragueur amusant et plein de charme... Je savais aussi qu'il lui était arrivé quelque chose d'horrible en Afghanistan et j'avais déjà assisté à quelques crises d'angoisse. Il n'aimait pas avoir à faire à des gens, c'était difficile pour lui car beaucoup de choses pouvaient déclencher des crises... Il voulait qu'on travaille ensemble, moi dans la lumière et lui dans l'ombre, qu'on ait notre propre cabinet. C'était un rêve pour moi mais je n'avais pas assez d'argent.
« Tu n'as rien à payer. »
Ajouta-t-il avec cette sorte de nonchalance dont il avait le secret. Sa famille avait beaucoup d'argent et il n'était pas à plaindre non plus. Sans compter que le cabinet n'était déjà plus tout jeune alors le prix devait défier toute concurrence. Il y avait du boulot en revanche, surtout avec ce qu'il voulait faire à l'intérieur... Presque les larmes aux yeux, je manquais de renverser la table pour me jeter dans ses bras. Il ne s'en rend pas compte mais il vient de réaliser mon rêve... Et nous voilà donc embarqué dans une folle aventure que je ne regrette absolument pas le moins du monde... C'était il y a deux ans.
« Je crois que c'est peine perdue... »
Lança Ian, désespéré. Lui aussi voulait que sa sœur se remette avec mon frère, lui aussi avait longtemps cru en leur amour mais il semblait avoir perdu espoir. Ce n'était pas mon cas, je n'étais pas aussi pessimiste, jamais. Je savais pourtant qu'Andrew avait commencé à lever la main sur Cat, je savais qu'il l'avait trompé à plusieurs reprises, qu'elle tenait bon juste pour Alice et qu'elle avait refusé mon frère pour les mêmes raisons quatre ans plus tôt. Nous avions d'ailleurs sacrément m*rdé en organisant ce repas... Nous aurions dû nous douter qu'ils n'allaient pas se sauter dessus sous prétexte que leur couple respectif s'était brisé.
« Andrew est un co*nard, elle finira bien par s'en rendre compte quand même ! Et Fergus l'attend depuis qu'ils se sont retrouvés la dernière fois, j'en suis certaine. Je le connais, il ne regarde aucune fille comme il regarde Cat'... Il n'a même pas eu de relation sérieuse depuis... Faut pas baisser les bras ! »
Ian avait toutes les raisons du monde d'être pessimiste. Il avait apprit que son beau-frère avait levé la main sur sa sœur et il s'était précipité à Londres pour lui apprendre les bonnes manières... Les deux hommes s'étaient battus mais Catriona les avait séparé, défendant son époux malgré tout. Là encore, c'était pour sa fille, pour protéger Alice et pour maintenir un semblant de famille. Une vraie torture qui n'avait pas de sens mais nous n'y pouvions rien...
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« Je n'arrive pas à la comprendre... » Soupira-t-il en passant ses deux mains dans sa tignasse. Il s'était un peu fâché avec sa sœur d'ailleurs et il s'en voulait atrocement.
« Elle serait beaucoup plus heureuse sans lui, même sans parler de Fergus... Alice est intelligente, elle peut comprendre et... Pu*ain c'est pas un drame une garde partagée ! C'est quand même plus sain que de mentir à sa fille en lui disant qu'elle s'est faite taper par un patient non !? J'ai peur qu'elle fasse une bêtise... » Je posais doucement une main sur son épaule, un sourire rassurant sur les lèvres. Bien sûr, mes inquiétudes étaient les mêmes que lui, mon incompréhension aussi d'ailleurs, mais je savais que le vent tournerait, j'ignorais juste à quel point...
« Elle est forte, je sais que tout finira bien. Ils vont se retrouver tu sais, j'en suis certaine. »
Il me lança un sourire triste avec un discret oui de la tête, peu convaincu. Quelques mois plus tard, Andrew mourrait d'un accident de voiture et, peu après, Cat retrouvait Fergus. J'allais pouvoir tenter de les rabibocher à ma façon, même si ça risquait de les embêter. Et j'allais aussi pouvoir veiller sur ma nièce pour l'aider à passer cette épreuve, pas prête à lui révéler le secret de sa mère pour autant. Car j'aimais me mêler des affaires des autres mais il était hors de question que je trahisse leur confiance, jamais.