Lightning in the sky (ft. Clayton)

Posté au bar du club, verre de cognac à moitié vide en main, l'Islandais était adossé contre le comptoir, face à la foule, son regard sombre fixant distraitement un point abstrait un peu plus loin en face. Si son regard semblait absent, son esprit, lui, grouillait de mille réflexions. Y avait-il seulement un moment où il n'était pas encombré, ne serait-ce que par au moins toutes les responsabilités qui pesaient sur ses épaules ? Pas sûr. À dire vrai, d'aussi loin qu'il s'en souvienne, il n'avait jamais été vraiment tranquille. Peut-être l'était-il à l'époque, alors qu'il n'était qu'un simple étudiant qui semblait avoir la vie devant lui, un jeune adulte qui était persuadé d'être au dessus du monde, au delà de tous les risques que pouvait représenter la mort, immortel d'une certaine manière. Un simple accident et tout son monde s'était effondré, l'anxiété avait fait son petit bout de chemin en lui, raccourcissant bon nombre de ses nuits. Certains auraient suivi une thérapie qui leur aurait permis de passer outre ce problème. Pas Jónas, parce-que malgré le choc, sa fierté avait toujours été telle qu'il ne l'assumait absolument pas, ne se l'avouant même pas réellement à lui-même.

Bien longtemps déjà qu'il composait avec tous ces poids, notamment celui de son boulot. Des responsabilités qu'il s'infligeait seul, bien trop incapable de lâcher du lest, de déléguer, de faire réellement confiance, une part de lui murmurant sans cesse que rien ne serait suffisamment bien s'il ne le faisait pas lui-même. Jamais mieux servit que par soi-même, des propos qu'il avait appliqué tout au long de sa vie mais qui pesaient indéniablement sur sa personne. Pour autant, le quarantenaire ne s'en plaignait pas, bien conscient que personne n'était réellement à blâmer et que changer la donne ne tenait qu'à lui. Il y avait pourtant autre chose, quelque chose qu'il ne s'était pas infligé, quelque chose qui lui avait été imposé. Enzo. Cet enfant qu'il n'avait jamais demandé à avoir, celui qu'il n'aurait jamais pensé rencontré, ne sachant pas même pas s'il était encore en vie, pas même si c'était un garçon ou une fille. Il n'avait rien voulu savoir, ayant laissé le choix à Monica. Elle avait pris sa décision et il s'était retiré du jeu, comme convenu, et pourtant le gamin était arrivé dans sa vie, s'y imposant comme s'il en avait tous les droits, comme si les liens du sang suffisaient à légitimer cette intrusion. Et maintenant ? Maintenant, Jónas devait faire face à de nouveaux risques. Si le gosse parlait, si sa propre réputation était entachée, il devrait gérer les dégâts, perdre son petit équilibre, assumer l'éventualité de ne plus être le type irréprochable qu'il s'appliquait à être en apparence. Des risques qu'il n'était décidé à affronter. Mais faire disparaître sa progéniture pour les éviter n'était pas une option, pas vrai ?

Un soupir filant entre ses lèvres, Jónas reprenait une gorgée du liquide ambré qui flottait dans son verre, le terminant dans la foulée. Il revint à lui, abaissant un instant ses prunelles sombres vers le contenant vide. En reprendre un ? C'était une idée, ce ne serait pas de trop. Pas qu'il était réellement friand du trop, au contraire, l'Islandais était bien trop dans un besoin de contrôle pour risquer de se mettre une mine, pire encore, il craignait trop la mort pour risquer de s'intoxiquer bêtement le foie. Mais un de plus ne serait pas de trop, sans doute.

Prendre encore un verre et rentrer. Sûr qu'il aurait tout aussi bien pu s'en resservir un chez lui mais il se connaissait suffisamment pour savoir que s'il rentrait, là, il tournerait en rond dans son appart et ne dormirait pas de la nuit. Autant profiter encore un peu de l'agitation environnante avant de revenir dans quelque chose de bien plus morne, quelque chose où le quarantenaire avait parfois l'impression de pouvoir entendre la mur lui susurrer à l'oreille, comme un courant d'air, comme pour lui rappeler qu'il ne pourrait jamais vraiment la fuir et qu'un jour viendrait où il ne se réveillerait plus. Percevant à peine plus loin le ton qui commence à monter entre deux jeunes, il n'y accorde pas plus d'importance que cela, se contentant d'arquer un sourcil lourd de jugement à l'instar de son regard las. Était-il seulement aussi débile à l'époque ? Dépendait. Il n'attaquait pas en premier, mais il n'était plus à prouver que ses airs hautains pouvaient parfois en échauffer plus d'un. Maintenant ses méthodes avaient bien changé, ne se limitant plus à un simple règlement de compte dans un bar avec des vies qui se poursuivaient au lendemain. Faisant un bref signe au barman, Jónas ne tardait pas à récupérer un verre à nouveau plein de cognac.

À peine s'était-il apprêté à en prendre une gorgée cependant qu'il se retrouvait acteur de la scène qu'il avait à peine zieuté quelques secondes plus tôt. Dommage collatéral aurait été un terme bien plus adéquat. Un des deux jeunes qui s'était retenu à lui pour ne pas perdre l'équilibre avait fait valser son verre, ce dernier explosant contre le bar tandis que l'homme d'affaires dû prendre quelques secondes pour comprendre ce qu'il se passait. Contrairement à l'autre qui n'en pris visiblement pas conscience, se préparant à repartir à la charge de son adversaire. Avant qu'il ait pu s'éloigner d'avantage, l'Islandais agrippe son épaule, plantant sur lui ses prunelles sombres désormais coléreuses. « Vous pouvez pas jouer aux coqs dehors ? » sifflait-il alors que, déjà, le second approchait visiblement motivé à ne pas laisser le jeune s'en tirer. Un pas en avant sans lâcher le concerné, Jónas reportait son attention sur lui. « T'as intérêt à te tirer avant que la sécurité s'en charge. » Malgré son langage salé et son air menaçant, sa voix portait toujours cette touche condescendante qui lui était propre. « Mêle toi de ton cul toi » avait sifflé le type, apparemment pas prêt à écouter son conseil.

Relâchant le jeune, l'homme d'affaires vint agripper l'autre au col. Quelques secondes à peine avant que ladite sécurité n'arrive pour le sortir. De brèves paroles échangées et ils n'embarquèrent que l'attaquant suivi d'une jeune femme qui devait être sa petite amie, laissant le premier qui avait bousculé Jónas. Il se tournait à nouveau vers lui, le toisant de toute sa hauteur avant d'aviser la manche de sa propre chemise, pas épargnée par la chute de l'alcool. « Tu vas devoir me payer un verre, gamin » lui lançait-il avant d'arquer un sourcil. « Ça mérite au moins ça. » Non, il ne lui laissait pas le choix et ne laisserait pas passer. « A quoi ça rime d'en venir aux mains pour une nana ? » soufflait-il en secouant la tête, passant une main distraite dans ses cheveux. Parce-que c'était bien de ça qu'il s'agissait pas vrai ? Rien qu'à voir la manière dont la concernée avait observé le tout, ça en disait long.