Welcome to Scotland my friend !

Le trajet avait été épuisant. Pour une raison qui échappait complètement à August, prendre un vol jusqu'à Glasgow, puis ensuite prendre un train jusqu'à Edimbourg lui était revenu moins cher qu'un vol direct Francfort-Edimbourg, c'était donc l'option qu'il avait choisie, bien que son temps de trajet en était nécessairement rallongé. Théoriquement, il n'y voyait pas d'inconvénient. Lui qui n'était jamais sorti d'Allemagne, il avait aimé se promener dans les rues de Glasgow en attendant son train, dégainant son carnet à croquis dès qu'il repérait quelque chose d'intéressant. Cependant, qui disait plus de temps de trajet disait plus de temps pour réfléchir, et donc plus de temps pour se monter la tête avec des potentiels problèmes pouvant survenir, plus farfelus les uns que les autres. Il devait bien se l'avouer, il était inquiet. Depuis qu'il avait fermé silencieusement sa porte d'entrée à quatre heures du matin et glissé son trousseau de clé dans la boîte aux lettres, ne laissant derrière lui qu'une lettre sur la table de la cuisine annonçant son départ et son intention de ne jamais plus revenir, chaque seconde de sa vie avait le goût du nouveau. Et le nouveau était un mélange d'arômes d'excitation et d'anxiété. Certes, il était ravi d'avoir enfin franchi le pas, d'avoir enfin pris sa vie en main et pris les décisions qui s'imposaient pour s'assurer d'avoir la possibilité d'être heureux. Mais d'un autre côté, ne pas savoir ce qui l'attendait l'étranglait d'angoisse. Il aimait avoir le contrôle, comme beaucoup de monde sans doute, et force était de constater qu'avec le saut dans l'inconnu qu'il était en train d'effectuer, il n'avait pour le moment aucun contrôle. Donc il angoissait.

Il avait rencontré Anna sur internet, et il avait tout de suite accroché avec elle. Les relations d'August avec son grand-frère avait toujours été compliquées, et depuis son coming-out, leurs interractions étaient devenus rares mais surtout insupportables. Il n'en pouvait plus de ce coup de poignard qu'il recevait chaque fois que son frère ouvrait la bouche pour lui cracher des horreurs aux visages. Alors forcément, la gentillesse d'Anna, sa bienveillance... August s'y était un peu accroché comme à une bouée, et il était excité à l'idée de vivre avec elle le temps de trouver un travail, de mettre de l'argent de côté, de louer un petit logement... Le temps d'enfin commencer sa vie. Néanmoins, il ne connaissait pas vraiment Anna, alors forcément, il angoissait un peu. Leur rencontre allait-elle être naturelle ou bien absolument gênante ? Devait-il lui faire un signe, lui serrer la main, l'étreindre ? Il allait habiter chez elle pendant une durée indéterminée, donc pour s'assurer de faire bonne impression, il avait passé tout son trajet en train, les yeux perdus dans le vide, à se répéter en boucle des formules de politesse pour s'assurer de ne pas bafouiller dans un anglais approximatif sous le coup du stress.

Cependant, une fois sur le quai, il n'eut plus le temps de s'inquiéter. Il suivit le mouvement des autres voyageurs, plus préoccupé à garder sur son épaule le sac de sport plein à craquer, subtilisé la veille au soir à son frère — son ultime vengeance avant de, il l'espérait, ne plus jamais le revoir —, et dans lequel il avait fourré le plus d'affaires possibles, qu'à s'interroger sur le déroulement de cette première rencontre avec sa future colocataire.

« Auuuuguuuust ! »

Il entendit sa voix avant de repérer une minute plus tard sa main qui s'agitait, après avoir balayé d'un regard agité les quelques personnes qui attendaient de l'autre côté des portiques. Avec étonnement, il constata qu'elle trépignait visiblement d'impatience, ce qui le détendit immédiatement. Ses épaules, jusqu'à présent tendues à l'extrême, se relâchèrent enfin, et il s'autorisa à afficher un léger sourire rassuré. Il eut à peine le temps de passer le portique qu'elle l'avait déjà enveloppé dans une étreinte qui finit de calmer les battements angoissés de son cœur. Ça faisait tellement du bien d'être l'objet d'une telle affection qu'il se serait presque liquéfié dans les bras d'Anna si une vieille dame ronchonnant qu'ils bloquaient le passage ne les avait pas forcés à se déplacer.

« C'était un peu long mais tout s'est bien passé. J'ai même pu visiter un peu Glasgow ! J'ai fait quelques croquis, je te montrerai si tu veux. » Sans même s'en rendre compte, il avait adopté le même ton enjoué qu'il employait toujours dans les messages qu'il échangeait avec elle, toutes ses inquiétudes développées pendant le trajet envolées. « Et ça va, je suis content d'être arrivé. Je suis juste trop heureux de te voir enfin ! » Sans trop y penser, il tendit de nouveau les bras vers elle, à la recherche d'une nouvelle étreinte.

Elle sentait bon, et il se demandait si c'était l'odeur de sa toute nouvelle maison.

« Et toi, comment tu vas ? Et tes lapins ? »

Il n'avait jamais eu d'animaux à la maison, alors il avait vraiment hâte de rencontrer les deux petites boules de poils d'Anna, qu'il n'avait vu qu'en photo pour le moment.

Les yeux bruns du jeune homme se mirent à pétiller à la seconde même où Anna lui proposa une excapade au musée. Cela faisait tellement longtemps qu'il n'avait pas fait de telles visites... ! La dernière fois remontait probablement à une sortie de classe, pendant laquelle il s'était fait tout petit et avait fait mine de s'ennuyer, histoire de ne pas se démarquer plus que de raison du groupe. Il avait suffisamment de problème comme ça. Alors forcément, l'idée d'y aller avec une passionnée comme Anna, qui en plus aurait probablement plein de choses à lui apprendre pendant la visite, ne pouvait pas lui faire plus envie. Il hocha donc vigoureusement la tête, déjà surexcité à cette idée.

« Ce serait génial, Anna ! » Dans son enthousiasme, son léger accent allemand pointa légèrement le bout de son nez mais, toutes ses inquiétudes envolées, il ne s'en soucia pas.

August rougit face à l'enthousiasme de sa nouvelle colocatrice au sujet de ses dessins. A part sur internet, il n'avait que peu eu l'occasion de montrer ses créations, mais c'était toujours avec une vraie fierté qu'il partageait son art alors les réponses positives d'Anna lui réchauffait le coeur et lui conférait un réel boost de confiance.

« J'ai beaucoup dessiné depuis la dernière fois que je t'en ai envoyés d'ailleurs. Je te montrerai tout ça ! J'ai trouvé des vielles pastels au fond d'un tiroir récemment, et je suis plutôt satisfait du résultat, tu me donneras ton avis ! »

Un peu inconsciemment, il tapota la poche de son sac où il avait précautionneusement rangé tout son matériel d'artiste. C'était la première chose qu'il avait fourrée dans son sac, avec une infinie tendresse. Il l'avait payé cher, avec son propre argent de poche, qu'il n'allait plus jamais recevoir, il était donc important qu'il en pris plus soin qu'habituellement — même s'il était très soigneux déjà en temps normal —, car il n'aurait pas les moyens d'en racheter avant un moment.

Après cette étreinte si chaleureuse, pendant laquelle il serra Anna contre lui aussi fort qu'elle le serrait contre elle — en tout cas il l'espérait —, il avait l'impression que sa fatigue s'était comme évaporée. Il était debout depuis très tôt ce matin-là et pourtant, il se sentait d'attaque à gambader dans les rues d'Edimbourg si cela signifiait discuter avec Anna. La jeune femme dégageait tellement d'énergie qu'August avait l'impression d'en profiter également, comme une plante en pleine photosynthèse qui se nourrit du soleil. C'était ça : elle était comme un soleil, rayonnante et lumineuse ! Il rit en l'entendant parler de ses lapins. Dans sa voix, il parvenait à entendre à quel point elle les aimait, et il avait vraiment hâte de glisser ses doigts dans leurs pelages qui semblaient déjà si doux en photo.

« Je n'ai pas mangé depuis que j'ai quitté Francfort, donc je ne dis pas non. On a qu'à s'arrêter en chemin vers chez toi si tu veux, mon sac n'est pas trop encombrant. »

Il avait vraiment hâte de découvrir là où il allait maintenant résider, mais son ventre ronchonnait suffisamment pour lui faire choisir la solution qui apporterait le plus vite nourriture et boisson à son estomac en peine.

« Ne t'inquiète pas pour le sac, il n'est pas très lourd. »

En réalité, il lui sciait l'épaule, et il était vraiment à deux doigts d'accepter la proposition d'Anna, mais sa fierté avait le dessus sur sa raison. Il était un homme, il était fort, il pouvait porter son sac tout seul. Il avait conscience que réfléchir ainsi était complètement idiot ; homme n'était pas plus synonyme de force que femme était synonyme de sensibilité. Mais il avait du mal à s'arracher à ces clichés, ils semblaient toujours importants pour affirmer qui il était.

« Alors, par où on va ? Par là ? »