Guardian angel (ft. Siobhan)

Trop agressif, Neven. Trop impulsif. Trop à fleur de peau. Un deuil ne se fait pas en se laissant diriger par la rage. Des propos qui tournaient en boucle dans ma tête, paroles que je savais parfaitement vraies, aussi dures soient-elles. Mais si j'en avais conscience, il m'était tout aussi impossible de contrôler toutes ces émotions et de les contenir. Comme souvent, la seule option qui s'offrait à moi, la plus drastique, était d'apaiser tout ce carnage en m'intoxiquant, faisant ainsi taire mon esprit bien trop tourmenté, couvrant mon cœur d'un voile d'indifférence qui, pourtant, retombait bien vite. Vivre avec l'idée que ma mère ait été internée dû à mon incarcération avait déjà été compliqué, survivre alors qu'elle s'était suicidée -potentiellement à cause dudit internement- était tout bonnement impossible. Et déjà ma consommation de drogues avait commencé à augmenter, doucement mais sûrement, et ça aussi, j'en avais conscience, mais le besoin de m'extirper de ma propre tête était plus fort qu'une quelconque raison.

Ce soir cependant j'étais plutôt clean, mes pupilles n'étaient pas beaucoup plus dilatées que la normale, mon esprit ne divaguait pas trop. Plutôt clean, si on omettait toutefois la quantité assez conséquente d'alcool que j'avais ingurgité. Pas assez pour que je perde le contrôle de mes agissement et ne me rappelle plus de rien, mais assez pour qu'il me soit d'autant plus compliqué de contenir toute cette impulsivité qui faisait déjà rage en temps normal. Sans doute ne serait-elle pas sortie si ce type avait passé son chemin plutôt que de venir me chercher des noises, probablement même que je serais simplement resté à mon coin du bar pour continuer de boire un peu avant de me décider à rentrer tranquillement. Peut-être Ciaràn se faisait-il du souci de ne pas me voir rentrer directement après le boulot, peut-être dormait-il déjà. Sans doute valait-il mieux que je ne sois pas trop dans ses pattes en ce moment pour éviter de m'en prendre injustement à lui.

Tout aurait pu être calme, mais ce type était arrivé, cherchant visiblement un peu d'action, quelqu'un qui rentrerait dans son jeu. Et il avait tapé dans le mil en jetant son dévolu sur moi. Une bousculade, une main sur mon épaule, une remarque sur la jeune femme visiblement complètement bourrée qui se traînait avec lui. De petits détails qui eurent raison de mon pseudo self-control. La minute d'après ma chaise était renversée, le type acculé contre un mur, ma main enserrant son col alors que j'étais prêt à cogner au moindre mot de travers. Et il semblait évident au vu de son petit air amusé qu'il ne tarderait pas à chercher d'avantage la petite bête.

Perdre son sang froid et se laisser porter par la rage, cette colère sourde que le deuil inacceptable que je portais ne faisait qu'accentuer, me laissant totalement impuissant à gérer mon impulsivité correctement. C'était déjà relativement compliqué en temps normal, la boxe représentant un échappatoire pas toujours suffisant, mais ce soir je voyais rouge, et il était déjà trop tard pour que je parvienne à me raisonner et retrouver un semblant de calme. Surtout pas avec ce crétin qui semblait bien décidé à aller au bout de sa connerie pour m'y traîner avec. Mes doigts crispés sur son col, l'autre main fermement calée sur son épaule pour le maintenir contre le mur, mes prunelles claires étaient plus glacées que jamais. Glacées et pourtant tellement submergées par cette rage destructrice qui m'animait en l'instant.

« Alors t'attends quoi ? C'était que d'la gueule ton truc ? » provoquait l'autre, me poussant à resserrer encore mes prises sur lui sans me soucier du fait qu'à ce train là, mes doigts laisseraient sans doute des marques sur son épaule. Prêt à cogner pour le faire taire, une autre voix parvint jusqu'à moi, celle d'une femme, suspendant un instant le temps alors que j'inspirais, sourcils froncés. « T'mêle pas de ça, tu veux ? » grinçais-je sans doute trop amèrement, bien forcé de me rendre à l'évidence qu'elle ne lâcherait pas l'affaire de si tôt. Savait-elle seulement que le fait qu'elle soit une femme ne m'empêcherait pas de m'en prendre à elle si je perdais réellement pied ? Ne pas interférer quand mon impulsivité faisait surface -ou en tous cas être prêt à encaisser les potentielles répercussions-, première règle. Mâchoire crispée, phalanges blanchies tant la pression que j'exerçais était conséquente, je tournais enfin la tête vers elle lorsqu'il fut question de garde à vue, mon expression toujours autant régie par la rage.

Cette femme. Ce n'était pas la première fois que je la voyais ici, voire ailleurs. Et même si je ne la connaissais que de vue elle faisait quand même plus ou moins partie du décor, une âme errante sans doute autant que moi ces derniers temps. Si je ne répondais pas, j'écoutais tout de même. Était-ce le fait que je la connaissais de vue ou ses mots sur cette foutue garde à vue qui avait pesé dans la balance ? Qu'importait au fond, le résultat était le même : elle avait réussi à détourner un moment mon attention de ce petit con provocateur. Insupportable oui, il l'était, mais par dessus tout j'avais ce besoin viscéral de cogner, décharger tout ce que je portais sur mes épaules. Manque de pot, il avait été au mauvais endroit au mauvais moment, et sans l'intervention de la brune nul doute qu'il aurait écopé des conséquences de sa connerie.

Tu devrais le lâcher. Une profonde inspiration pour essayer de contrôler la rage, d'encaisser le fait que j'avais juste l'impression d'écoper d'une leçon de morale. Mal venu alors que la seule personne légitime à le faire n'était désormais plus de ce monde. La fin de ses mots me crispa d'avantage quelques secondes. Le fait que ma rage soit habituelle ou pas n'avait aucunement sa place là dedans, et je n'avais aucune envie de me taper une analyse psychologique, là. Quelques secondes de flottement avant que je me décide à relâcher l'autre, ne me privant pas pour le pousser un peu sans me formaliser de sa tête qui heurtait le mur sans doute moins violemment que si je lui avais assené un coup. « J'me serais passé d'la psychanalyse, vraiment » sifflais-je en adressant à la femme un regard où se mêlaient colère et lassitude, comme si la vérité qu'elle avait énoncée était trop difficile à porter. J'en avais conscience, inutile de balancer une thèse sur le sujet. Me détournant pour récupérer ma veste, j'entendais l'autre type qui se remettait à me chercher, toujours contre le mur. Un simple geste de la main pour signifier que je ne l'écoutais pas avant que je ne sorte de ma poche mon porte-feuille. Payer et sortir d'ici pour éviter de déraper vraiment, meilleur plan qui s'offrait à moi pour l'instant même si j'en connaissais parfaitement la finalité : plonger dans la drogue à peine rentrer pour calmer tout le reste.