Mistletoe and Holly...shit! (ft. Kja, Ada & Enzo)

Lever le pied, une expression que le quarantenaire n'appliquait que trop peu. Rares étaient les moments où il s'accordait vraiment le temps de souffler, principalement par manque de confiance envers son entourage. Jamais mieux servit que par soi-même, ça il connaissait, et il l'appliquait souvent au pied de la lettre, menant son entreprise d'une main de fer. Bien sûr, la maison mère et les deux filiales déjà en place tournaient correctement et sans lui dans les locaux, mais il recevait tout de même des mails de bilan chaque vendredi soir et il lui arrivait entre temps de vérifier lui-même les données en se connectant à la base. Un patron bien trop tyrannique sans doute, et ses employés s'accordaient pour le dire que lorsqu'il rôdait, mieux valait faire profil bas, mais rien ne se gagnait à être trop coulant et laisser les troupes voguer comme bon leur semblait. Il avait misé bien plus dans ces projets que toutes ces fourmis, même que ses associés, et si l'entreprise se cassait la gueule il serait le premier à en pâtir alors autant s'assurer que les choses soient bien faites. Certes, les employés qui finiraient sans emploi ainsi que leurs familles en pâtiraient aussi mais inutile de préciser qu'il n'en n'avait strictement rien à foutre de leur sort à eux. Tyrannique et dénué d'empathie, une image qu'il ne laissait pourtant pas entrevoir en dehors du cadre professionnel. Tout son monde n'était fait que de cela : des masques, chacun adéquat à une situation, une personne. Qui savait qui il était vraiment.

La période des fêtes n'était donc pas réellement différente du reste de l'année pour l'Islandais, hormis l'ambiance générale qui le laissait relativement de marbre. Grand bien ne fasse à ceux qui se réjouissaient de l'arrivée de Noël, de ces foutues décorations et des lumières un peu partout. Ce n'était pas qu'il n'aimait pas à proprement parler, simplement qu'il s'en fichait pas mal, toujours trop borné dans cette routine de boulot atrocement chronophage. Cette année cependant, les choses étaient différentes, plus ou moins, parce-que Kjaran vivait dans cette ville avec sa fiancée, Adaline. Sans doute était-ce une raison suffisante pour qu'il décroche un peu et, bien qu'il avait bossé le 24 jusqu'à tard, il avait décidé de se prendre quelques jours. Il avait été défini qu'il recevrait son frère et sa future femme chez lui à dîner le 25 au soir. Une sorte de Noël en famille, comme les deux frères avaient fait durant leur enfance avec leur parents. Depuis combien de temps Jónas n'avait-il pas eu quelque chose de similaire ? Bien sûr, quand il était marié il n'y échappait pas, et s'était parfois rendu en Islande afin de passer cette période avec ses parents, mais ce n'était pas vraiment comparable. Parlant de ''famille'', il y avait bien ce gosse, son gosse, revenu du passé dans l'espoir de trouver un père. Mauvaise pioche, malheureusement pour lui, et Valduson n'avait aucunement prévu de prendre son rôle sous prétexte que c'était Noël.

Avisant l'heure sur la montre à son poignet, il inspirait. Si son frère était ponctuel, ils ne devraient plus tarder à arriver. Le repas -préparé par ses soins- était déjà entrain de cuire tranquillement tandis que le duplex se retrouvait bercé par Sinatra, pas trop fort mais suffisamment perceptible pour en faire un fond agréable. Vêtu d'une classique chemise blanche sur pantalon noir, Jónas allait se servir un verre d'eau, rejoignant finalement le canapé, un bref coup d'oeil à la décoration. Épurée, presque digne d'un foutu catalogue, hormis le sapin dans un coin de la pièce. Parce-que oui, il avait un sapin. La femme de ménage s'était occupée de le décorer, lui s'en fichait pas mal. Rapidement il se retrouvait avec son cellulaire greffé à la main, vérifiant les chiffres de ses filiales, encore et tout. Se prendre le temps ne voulait pas dire de ne rien foutre en attendant ses invités.

Regard rivé sur l'écran de son téléphone, le quarantenaire inspirait tranquillement, plutôt satisfait. Pas de quoi s'alarmer pour le boulot, là, tout se passait comme sur des roulettes et peut-être pour une fois pourrait-il essayer de lâcher un peu de lest et ne pas avoir la tête constamment prise par ses responsabilités. Au moins un peu. Ce dîner avec avec Kjaran et sa fiancée lui prendrait déjà bien assez d'énergie pour qu'il évite de se foutre à cran pour d'autres raisons. Parce-qu'il valait mieux que tout se déroule bien, pas vrai ? Impossible sinon de reprendre une place avec une certaine emprise dans la vie de son frère, impossible de renouer complètement ce lien particulièrement toxique s'il laissait tomber le masque dans son entièreté. Rester maître de sa personne, tout le temps, pour avoir l'air de celui à qui l'on peut respecter sans aucun mal. Craindre aussi, mais il gardait surtout cet aspect dans le cadre de son boulot ou ses activités moins légales. Instaurer le respect par la peur, un fonctionnement qui ne lui convenait que trop bien, mais il ne pouvait pas l'appliquer avec tout le monde. Avec Kjaran il était simplement celui qui lui rappelait qu'il ne pouvait pas être mieux que lui mais qu'il avait la chance d'avoir un frère comme lui, avec Adaline il était cet homme irréprochable et à l'écoute, donnant la meilleure image de sa personne. La moins vraie aussi.

La sonnette retentissant par dessus la musique, Jónas délaissait son cellulaire pour se diriger vers la porte, percevant déjà leurs voix de l'autre côté sans prendre réellement la peine d'essayer de comprendre le sujet de leur conversation. S'armant de ce sourire quasi habituel qu'il portait en société, il ouvrait la porte, laissant filer un « bonsoir » tranquille. Un coup d’œil au chien qui fit naître sur son visage une brève mine contrariée avant qu'il ne reporte son attention sur son cadet. Kjaran lui avait demandé s'il pouvait ramener l'animal et il avait fini par accepter, pour lui faire plaisir, parce-que s'il y avait bien un animal qu'il détestait plus que les autres c'était précisément les chiens. Accordant une brève accolade à son frère en faisant bien attention à ne pas entrer en contact avec le canidé, tâchant aussi de ne pas penser aux foutus poils qu'il risquait de laisser, il en fit de même à Adaline, faisant attention dans son cas à elle à ne pas écraser son ventre. Ce n'était pas la première fois qu'ils se voyaient depuis qu'il était revenu dans la vie de l'urgentiste, mais ils n'avaient pas pour autant eu le temps de réellement apprendre à se connaître, ce qui ne l'empêchait pas de se montrer chaleureux.

Les ayant laissé entrer, l'Islandais refermait la porte derrière eux, un sourire calme planté sur le visage. « Je suis content que vous soyez là. Je suppose que c'est tout aussi bizarre pour vous que ça l'est pour moi, surtout après autant de temps -à ces mots, il avait reporté son regard sombre sur son petit frère- mais hors de question que la gêne soit de la partie ce soir. » Doucement il avait serré l'épaule de Kjaran pour appuyer ses paroles, montrer qu'il était sincère, qu'il voulait vraiment que tout se passe bien. Poursuivre sur ces nouvelles bases, construire de nouveaux souvenirs. « Faites comme chez vous. » Un geste vers le canapé, ayant déjà précisé à son frère que le chien ne devrait pas y monter, il s'approchait pour sa part de la cuisine américaine. « Qu'est-ce que vous buvez ? J'ai prévu un cocktail sans alcool pour toi, mais aucune obligation si tu n'aimes pas » disait-il à la blonde, jugeant préférable de la rassurer afin qu'elle ne se sente pas forcer à boire quelque chose qu'elle n'avait pas envie de boire. Jouer à l'hôte avenant, à l'écoute, attentif aux besoins de ses invités, il savait faire, et rien ne pourrait faire pâlir ce tableau respectable qu'il donnait, là, dans son appartement bien trop blanc et aussi cadré qu'il ne l'était.