Premiers pas (Feat. Ziggy)

August n'était à Edimbourg que depuis quelques jours et pourtant, c'était comme s'il y avait toujours vécu. C'était une sensation des plus étranges. Il se perdait presque à chaque fois qu'il mettait un pied hors de l'appartement d'Anna, mais il ne se sentait pas oppressé comme il l'avait été toute sa vie en Allemagne. Dès la première seconde où il avait posé le pied à Edimbourg, il s'était senti à la maison. Il pouvait enfin respirer. Tout semblait indiquer qu'il avait trouvé sa place ici, ou en tout cas, qu'il allait très vite la trouver : il avait déjà un endroit où loger, et il s'apprêtait à commencer sa toute première journée de travail.
Il n'arrivait tout simplement pas à croire que toutes les choses pour lesquelles il avait toujours prié se réalisaient toutes en même temps. Depuis son installation à Edimbourg, il n'avait eu de cesse de remercier Allah de lui donner la possibilité d'être enfin heureux, et sa prière de ce matin n'avait pas été différente.

Il s'était levé très tôt, avant cinq heures, incapable de se rendormir. Il était à la fois excité et anxieux ; il avait hâte de commencer son travail et en même temps, il s'inquiétait de ne pas être à la hauteur, de tout faire de travers. Alors il avait tourné dans le loft d'Anna comme un fauve en cage, s'occupant comme il le pouvait. Il s'était notamment attelé à la préparation du petit-déjeuner, en faisant le moins de bruit possible pour ne pas réveiller la jeune femme. Puis il avait attrapé son carnet de croquis mais s'était contenté de faire virevolter son crayon entre ses doigts, trop agité pour dessiner quoi que ce soit. Mais grand bien lui en avait pris parce qu'en partant, il s'était souvenu d'emmener son carnet avec lui, au cas où Ziggy voudrait jeter un œil à son coup de crayon.
Il était vraiment impatient de rencontrer Ziggy, ce serait la première fois qu'ils se verraient en vrai. Ce serait aussi la première fois qu'il rencontrerait quelqu'un "comme lui", qui comprenait vraiment clairement ce qu'il pouvait vivre, qui n'avais pas besoin qu'on lui explique tout en détail parce qu'il comprenait. August ne le connaissait pas encore vraiment, mais il avait déjà cette sorte de fascination pour le tatoueur, sans doute parce qu'il était plus âgé et qu'il lui renvoyait l'image de quelqu'un dont la vie est parfaitement ordinaire, tout ce à quoi le jeune allemand aspirait. C'est aussi pourquoi il était si inquiet. Peut-être ne s'entendraient-ils pas. Peut-être Ziggy avait-il seulement besoin d'un apprenti, et pas d'un gamin perdu à la recherche d'un exemple inspirant.

Il passa la porte d'entrée du salon de tatouage avec deux minutes d'avance, après avoir arpenté par trois fois la rue dans sa longueur parce qu'il était trop en avance, lançant un petit « Bonjour » qu'il voulait confiant, mais qui sonna plutôt chevrotant. Il déglutit donc, tentant de se calmer. Il serrait son carnet contre lui, s'en servait comme un point d'ancrage dans la réalité, qui était bien plus calme comparée à la tempête qui se jouait sous son crâne. Observer l'intérieur du salon l'aida aussi à ne pas se laisser entraîner par le stress ; c'était le métier de ses rêves, tout prenait la forme de ce qu'il désirait, il n'y avait pas de quoi s'inquiéter. Le lieu était chaleureux, accueillant, rassurant. Pas d'inquiétude. Il fixa son regard sur Ziggy et sourit, un peu timide. August était heureux d'enfin le rencontrer en chair et en os.