Vatia ; 13 Juin 1987 ; 22h06 Daryl avait toujours dit qu’il voudrait autant d’enfant qu’il faudrait pour pouvoir en faire une équipe de rugby… En cet instant précis il repensait à ce petit trait d’humour, qui d’ailleurs avait tout sauf amusé Wella , et à bien y réfléchir il n’aurait jamais pensé que le destin puisse le prendre comme un défi ! Après quatre garçons, voilà qu’ils accueillaient trois filles supplémentaires… Certains diraient que c’était de la folie, d’autres qu’il fallait du courage, pour eux c’était un bonheur, ils avaient voulu une fille, ils en avaient eu trois ! Certes cela allait compliquer un peu plus leur quotidien, mais ils avaient l’avantage d’avoir leurs familles non loin d’eux, un voisinage où l’entraide faisait partie intégrante des personnalités, et puis leur cadre de vie…
« Rugby à sept c’est parfait ! » Le regard noir que lui lança Wella eut raison de son sourire presque instantanément
« Où sont les garçons ? » « Avec mon frère, ils viendront demain. » Daryl déposa un baiser sur le front de Wella qui esquissa un sourire avant de se laisser happer par le sommeil profitant de la douce senteur que dégageait son mari… Après avoir remonté les couvertures sur sa femme, il se tourna vers les trois nouvelles arrivantes de leur famille. Comme tout patriarche qui se respecte il n’avait jamais évoqué ses doutes, ses appréhensions, ses angoisses fasse à cette arrivée en nombre, mais maintenant qu’il les observait, il savait qu’ils s’en sortiraient… Il ne pouvait pas en être autrement ! Comme le répétait si souvent son épouse
« L’important est toujours de garder la foi… » Il se contenterait de garder espoir pour sa part…
La rencontre le lendemain avec les frères fut assez… Mouvementée ! Brant l’aîné faisait des pieds et des mains pour tenir ses sœurs, sur le principe il n’y avait pas de souci, sauf que… Monsieur voulait les trois en même temps… Logistique un tantinet complexe pour un enfant de 8 ans ! Nate, 5 ans, roi de l’impatience tentait par un procédé gymnastique habile de se suspendre à la nacelle des berceaux dans l’espoir soit de un pouvoir se hisser pour admirer ses sœurs, soit option deux faire tomber le dit berceau et ainsi problème résolu… Enfin les deux derniers, Hayden et Roman, respectivement 3 et 2 ans se contentait de se courir après en hurlant… Joie et bonheur d’une sacrée ménagerie.
********************************L’école s’était terminée quelques heures plus tard et ils avaient tous eu le loisir de célébrer les vacances sur la plage. Georgia adorait l’école, elle était le stéréotype de la première de la classe, toujours au premier rang à répondre aux questions et surtout à faire ses devoirs ! Elle devait être la seule dans sa famille à aimer autant apprendre… Son frère Nate n’arrêtait pas de lui répéter qu’elle était adoptée et donc elle se vengeait en allant voir sa mère en pleurant de la méchanceté de son frère… A la guerre comme à la guerre ! Il n’avait donc pas été étonnant qu’ils avaient à peine mis le pied sur la plage que son cher et tendre frère l’avait attrapé pour la mettre à la flotte sans le moindre remord. Bien sûr qu’elle avait entendu le rire de ses sœurs, mais bientôt ce fut le sien qu’on entendit lorsque ces dites demoiselles vinrent la rejoindre contre leurs grès dans l’eau.
« Maman elle va être furax et je lui dirais que c’est ta faute ! » « Merdeuse ! » Jo afficha un magnifique sourire avant d’essorer ses cheveux sur le palier. Lorsque les sept entrèrent dans la demeure familiale ils furent accueillis par l’air grave de leurs parents, pas celui de
« l’un de vous a fait une bêtise et il va passer une sale soirée ! » plutôt celui qui annonçait un grand bouleversement… Depuis quelques mois leur père était parti aider son frère en Ecosse après la découverte de sa maladie, son état empirant il avait été décidé que tout le monde partirait pour l’Ecosse. Adieu soleil et plage, bonjour herbe et pluie !
Edimbourgh; Quartier de Sighthill; 14 Février 2003 ; 14h21 Les bras posés sur la rambarde du balcon Georgia regardait ce qu’il se passait en bas de l’immeuble, sans réellement le voir d’ailleurs. Elle reconnaissait la silhouette de Nate entourée de son
« gang » oui elle le mettait entre guillemet parce qu’on était loin du Parrain de Al Pacino ! Mais ça avait son petit avantage… Lorsque vous arrivez dans une nouvelle vie, dans un nouveau pays, surtout lorsque vous aviez le statut de personnes défavorisées, vous aviez deux choix : être prédateur ou devenir une proie… Elle était la petite intello au premier rang, à votre avis elle allait dans quelle catégorie ? Certes elle avait une bonne répartie, mais elle était loin d’affectionner les conflits. Elle était très douée pour tourner le dos et ignorer royalement son interlocuteur lorsque ça devenait ennuyeux ou déplaisant, forcément… Ça n’était pas réellement du goût de tout le monde… Mais le destin avait fait qu’elle avait une fratrie soudée, nombreuse et avec des éléments ayant un caractère bien plus fort que le sien et sur qui elle pouvait compter ! Ah oui il suffisait parfois d’agiter le nom de Pierce et ça apaisait certaines tensions d’elles-mêmes ! Sans parler de ses frères et sœurs, sa mère devait être celle du quartier faisant flipper tout le monde ! On ne rigole jamais avec une mère samoane ! Poussant un long soupir, parfois elle avait l’impression d’être le boulet qu’il fallait se coltiner ! Elle n’avait pas le sang froid de Brant, ni le leadership de Nate, encore moins le courage de Kristen, sans parler de l’insouciance de Pearl, ou encore de l’humour de Roman et certainement pas le bagou de Hayden…
Non, elle, elle avait toujours besoin qu’à un moment on vienne l’aider ou mieux elle était abonnée aux divers coups du sort incluant des blessures plus ou moins importantes… S’il y avait une carte de fidélité pour les visites hospitalières, elle serait un membre VIP ! La dernière en date était que depuis quelques mois maintenant elle avait eu une certaine récurrence de crise, crises diagnostiquées comme crises d’épilepsie… Oh joie bonheur ! Le plus drôle venait dans le fait que tout cela aurait à voir avec une chute qu’elle avait fait trois ans plus tôt ! Enfin pas une simple chute, une superbe descente des barres asymétriques finissant par sa tête rencontrant de plein fouet la structure métallique… Traumatisme crânien. Et donc trois ans plus tard voilà que les médecins avaient fait un parallèle entre cette chute, ce trauma et son déclenchement de l’épilepsie, c’est ce que l’on appelait avoir de la chance non ?
« Hey tu prendras une photo quand t’auras tout ton bordel sur la tête ? » Elle ne prit même pas la peine de se retourner et adressa son majeur à l’adresse de Kris.
********************************« Jo t’es sûre que ça va ? T’es presque blanche ! » « Je dirais plutôt que ça vire au vert… » Elle leva le nez de la lettre qu’elle avait entre les mains pour regarder ses sœurs la bouche grande ouverte, avant de replonger dans sa lecture
« Je suis prise ! » Il devait y avoir une erreur, les bonnes nouvelles ce n’était absolument pas pour elle ! Et pourtant il y avait bien son nom sur cette page qui lui disait que non seulement elle avait une bourse mais que en plus elle pourrait finir ses deux dernières années de A-Level dans la prestigieuse école privée de Strathallan School. Quand sa mère allait l’apprendre elle allait devoir aller à la paroisse tous les dimanches c’est sûr ! C’était une amie de Wella qui lui avait parlé de cette bourse qui permettait à quelques étudiants des quartiers dit
« difficiles » de pouvoir intégrer une école privée tous frais payés. Elle avait fait la demande sans y croire et pourtant…
« Tu vois je t’avais dit que le côté exotique ça marchait dans les boites de strip ! » « C’est bizarre qu’ils t’aient pas encore embauché d’ailleurs Kris ! » « Attend à moins d’être escort de luxe au minimum, je prends pas ! » Elle lâcha un soupir d’exaspération
« Soyez pas jalouse que je twerke mieux que vous deux réunies ! ».
Perth ; Strathallan School ; 22 Juin 2004 ; 11h06 Non mais quelle idée de demander à une épileptique de faire ce foutu discours ? On leur a pas expliqué l’incidence du stress sur les crises ? Oh god si ça se déclenchait en plein milieu ? Non je vais pas le faire ! Non c’est mort ! De toute façon rien ne se passe comme je veux alors pourquoi m’infliger ça ?! Il me suffit de dire que… Que… Bah que je suis malade… J’ai perdu ma voix et le tour est joué ! « Gia tu vas assurer ! » Elle esquissa un sourire totalement crispé !
« Y’a toute ta famille qu’a débarqué c’est super ! » « Je vais vomir ! » Trop de pression, beaucoup trop de pression ! Son téléphone vibra sur la table elle regarda, Pearl Et Kris qui venaient de lui envoyer une photo où elles étaient définitivement à leur avantage… Ou pas ! Elle laissa échapper un léger rire, sa famille était sa plus grande force !
« Mademoiselle Pierce, vous êtes prête ? » Elle regarda le directeur
« Non ? » Il posa sa main sur son épaule
« Vous voulez un secret ? Je ne me sens jamais prêt avant de monter sur une estrade… Jamais ! » Il la gratifia d’un sourire avant de faire son entrée sur l’estrade. Georgia voyait Mr Thompson comme le père Noël, il faut dire qu’il en avait le physique déjà, et puis il était d’une gentillesse désarmante, sans compter qu’il avait été un véritable soutien pou elle. Lorsque vous venez des quartiers pauvres et que vous vous mêliez à une majorité d’élève venant de familles plus ou moins aisées… Il était un peu difficile de trouver sa place… Surtout lorsque l’on passe le plus clair de la journée à vous le rappeler. Ces deux dernières années n’avaient pas été les plus belles qu’elle ait pu connaitre… Les débuts avaient réellement été compliqués, mais elle souriait et disait que tout allait bien qu’elle se plaisait, hors de question d’inquiéter sa famille, ou pire de les voir débarquer pour apprendre le respect à quelques-uns… Bien que cette idée ait été très tentante !
Les six premiers mois elle avait encaissé les remarques, les moqueries, elle s’était persuadée qu’à force de les ignorer ça finirait par passer. Elle avait été très solitaire, ne faisant confiance à personne de peur d’être blessée. Mais courber le dos n’était pas un trait génétique, les Pierce étaient des combattants, des guerriers comme le répétait son père, il lui avait fallu un déclencheur… La phrase de trop…
« On sait tous que pour être admise elle a dû passer sous plus d’un bureau… » Elle avait accepté beaucoup de chose mais remettre en considération son mérite ? Trop c’est trop, elle s’était alors levée pour se mettre en face de l’autre abruti hashtag je me prends pour le plus beau mec du territoire
« Exactement… Tu passeras le bonjour à ton père, il a adoré notre entrevue ! ». Le moment exact où elle s’est dit qu’elle allait être le parfait cliché de fille venant d’un quartier où on apprend très vite le prix d’un gramme de coke plus qu’une table de multiplication ! Ah et la fille
« pauvre de couleur », étiquette bonjour, était major de promo comme quoi… L’intelligence n’est pas une affaire d’argent ou de couleur ! Honnêtement sa vie en internat a été beaucoup plus agréable après cette petite remise en place, et même si ça n’avait pas réglé tous les préjugés et jugements, elle avait pu se lier d’amitié avec des personnes extraordinaires qui l’aidèrent à surmonter bien des situations, et surtout qui n’étaient pas les derniers lorsqu’il fallait programmer quelques vengeances sournoises… Une véritable pro du je fais sans me faire attraper ! De toute façon elle était soupçonnée dès l’instant où il manquait un trombone alors autant donner matière à être au cœur d’une polémique !
Et puis il y avait eu sa plus grande réussite… Le directeur lui-même lui demandant de faire le discours lors de la remise des diplômes… Elle sentit une main sur le bas de son dos qui la poussait gentiment sur la scène, c’était à son tour d’entrer sur scène. Alors elle fit le même rituel qu’elle faisait depuis toute petite pour se donner du courage, réciter les paroles du Siva Tau
« Samoa! Tatou o e tau le taua! Tau e matua tau! Fai ia mafai! Le Manu! ».
Saint Andrews ; 25 Août 2009 ; 17h34 « Après cinq ans tu retournes encore en cours ? T’es franchement maso ! Tu comptes finir ?» Jo haussa négligemment les épaules avant de faire glisser son assiette à sa sœur
« C’est plus une sorte de complémentaire… C’est bien d’avoir plusieurs cordes à son arc ! » Elle venait d’obtenir son master, elle pouvait exercer en tant que kinésithérapeute, mais elle avait voulu aller plus loin en passant la certification pour l’ostéopathie. L’avantage c’est que les deux cursus partageaient un tronc commun, elle n’avait donc que la spécialisation à passer, et coup de chance elle avait eu sa bourse scolaire pour l’ensemble !
« Rassure-moi, après ça tu comptes pas nous faire un retournement de veste du style maintenant je veux être neurochir ?! » « Mais pourquoi ce débat ? C’est bien les études ! » « Ouais si tu veux finir ta vie seule avec des chats ! » « Ou des rats ! Ça dépend ta notion du ménage ! » Georgia leva les yeux au ciel !
« Arrêtez c’est pas comme si j’avais pas de vie sociale non plus ! » « Dernière cuite ? » « Dernière fois que tu t’es envoyée en l’air ? » Elle se prit la tête entre les mains, non elle n’allait certainement pas répondre à ça ! Tout d’abord ce n’est pas comme si elle dressait un tableau de tout ce qu’elle faisait… Ensuite c’était deux sujets épineux… Le premier l’alcool ! Université égale liberté, fraternité, être bourrée ! Interprétation de la dernière devise à la liberté de chacun… Elle avait eu la joie de découvrir qu’elle ne tenait que très peu l’alcool ! Les alcools forts avaient vite raison d’elle et elle se retrouvait à chanter, danser, se déshabiller, embrasser et se réveiller le lendemain sans le moindre souvenir. Alcool rime avec trou noir et désinhibition extrême ! Sans compter que ça ne va pas réellement de paire avec l’épilepsie, mais elle avait eu de la chance là-dessus.
Deuxième sujet le sexe, et par extension sa notion d’un couple ! Jo n’était pas du genre à avoir beaucoup de partenaires tout simplement parce qu’elle n’en avait pas le temps ! Elle était plus du genre à avoir un « référent » c’est le surnom qu’avait donné son frère. Aucune attache, aucune prise de tête, et c’était un peu quand elle voulait, en même temps il fallait que ça aille avec son emploi du temps. Elle était consciente que ça ne plaisait pas à tout le monde et surtout que ça ne convenait pas à tout le monde, alors dès l’instant où il y avait des sentiments ou des reproches elle changeait. Elle ne tenait à n’aborder ni le sujet un et encore moins le sujet deux ! Ah bah avec des sœurs comme Kris et Pearl elle allait s’en prendre plein la figure… Joie ultime de la fratrie !
********************************Posant les mains sur ses hanches elle regardait les deux diplômes ornant son mur. Certains diraient que c’est de la mégalomanie, elle y voyait une fierté non dissimulée ! Elle s’était épuisée pour avoir ses diplômes, elle les avait eus et elle ne devait sa réussite qu’à elle-même, et ses efforts ! Certes le fait qu’elle soit boursière l’avait aidé, mais elle avait aussi cumulé des petits boulots pour avoir plus qu’un léger coup de pouce, il fallait qu’elle vive tout de même… Mais ça y’est, elle en avait officiellement terminé avec les études, la vie active lui tendait les bras et si elle devait être honnête elle en était un poil angoissée ! Grâce à ses divers stages elle avait décroché des postes de remplacements, de quoi commencer en douceur et surtout lui permettre de se dégager du temps libre pour le dispensaire de son quartier d’enfance. C’était sa façon à elle de participer à la vie de son ancien quartier, car après tout il lui avait offert bien plus qu’elle n’en avait eu conscience.
Hôpital d’Édimbourg ; 06 Novembre 2018 ; 03h18 Sa tête lui faisait un mal de chien, elle avait un affreux goût dans la bouche, un mélange de métal et de sel… Et dire que ça avait commencé comme tous les repas de famille, une excellente ambiance, un repas pour au moins une trentaine de personne, en bref un dimanche normal en famille ! Donc il n’avait pas été étonnant que la fratrie commence à se chamailler, même après trente ans, lorsque vous vous retrouviez avec vos frères et sœurs, c’était comme si vous en aviez dix ! La seule limite était la bataille de nourriture, qu’importe l’âge personne ne se serait frotté à leur mère… Ah moins d’avoir une forte envie suicidaire ! Jo était partie dans un débat avec Nate sur divers sujet futiles, et après une remarque de sa part elle lui avait lancé quelques gouttes d’eau à la figure en riant, jusque-là rien de bien méchant… Redoutant la réponse, elle avait tenté une fuite non dissimulée mais il avait réussi à l’attraper par le bras, jusque-là encore rien qui n’annonce un drame… Sauf que, même si cela n’avait pas été violent, ou que sa prise sur elle n’était pas forte, elle avait poussé un cri de douleur. Ce n’était pas Nate qui était en tort, il avait juste appuyé au mauvais endroit.
« Tu m’as fait mal ! T’aurais pu y aller doucement ! » Oui elle lui avait rejeté la faute dessus sans ménagement… Elle était devenue une véritable artiste du retournement de situation et du récit d’histoires crédibles. Tout avait toujours une explication, et qui plus est logique ! Après tout ça ne datait pas d’hier qu’elle avait une telle chance qu’elle pourrait se prendre trois fois la foudre sur la tête…
« Montre-moi ! » Ce fut la panique qui traversa son regard, vous savez ce moment où vous vous retrouvez acculé au pied du mur sans espoir d’issue de secours ? Elle le vivait à ce moment précis…
« Je t’ai fait mal, donc montre-moi ce que je t’ai fait ! » C’était une très mauvaise idée, mais très mauvaise…
« Tu préfères que je le fasse moi-même ? » Il en serait capable en plus ! Et surtout elle le connaissait assez pour savoir qu’il ne se contenterait pas de remonter la manche de son pull… Elle pointa un index sur lui
« Ne t’avises pas de me toucher ou de m’ordonner quoique ce soit ! Je suis pas un de tes putains de larbin ! » Le silence de son frère n’était pas qu’il encaissait sa remarque, mais plus le ton et le fait que ce n’était pas du tout dans ses habitudes de tenir tête ainsi. Georgia avait tourné les talons et été sortie prendre l’air, mieux valait un peu d’espace…
Elle avait tout juste eu le temps de descendre les marches du perron que Nate la rejoignait mais avant qu’il ait pu dire quoique ce soit Kris et Pearl s’était interposées entre elle et lui.
« Nate, il va falloir que tu te calmes ! » « Me calmer… Sérieusement Kris ? Comment tu veux que je me calme après ça ?! » Il avait fait un pas en avant, Kris aussi. Jo s’était mise à trembler de tout son long, ça ne pouvait pas arriver là maintenant ! Si ça continuait elle allait finir par faire une magnifique crise d’épilepsie devant tout le monde… Génial ! Elle sursauta lorsqu’elle sentit les bras réconfortants de Pearl sur elle.
« Nate… S’il te plait… » « J’ai des problèmes avec mon traitement ! » De tout ce qu’elle pouvait trouver comme prétexte, excuse, il avait fallu qu’elle sorte la seule carte qu’elle détestait le plus au monde. Et c’est bien parce qu’elle ne mentait jamais à ce sujet-là que cela en faisait une raison plus que recevable et viable.
« Explique ! » « Ils m’ont changé de traitement et ça se passe pas… Très bien c’est tout ! J’ai eu quelques crises récemment jamais au bon endroit et je suis tombée la dernière fois sur mon bras… » C’est fou ce que la contemplation de ses chaussures était intéressante.
« C’est pas vraiment quelque chose que j’ai envie de crier sur tous les toits ! » Elle releva la tête pour croiser celui de son frère, il resta un instant à la regarder avec de lâcher un sourire qui n’avait rien d’amical
« Très jolie histoire… Et tu crois ça ? Vous croyez ça toutes les deux ? Elle nous ment bien en face et ça ne dérange personne ?! » Jo sursauta encore une fois devant le haussement de ton, oui elle aurait pu faire machine arrière et tout balancer d’un coup… Mais tous les mots restèrent derrière la barrière de sa bouche. Et s’ils ne la croyaient pas ? Cette horrible et pernicieuse question continuait de tourner encore et encore…
« T’es lourd Nate ! Tu voudrais pas calmer ta parano juste trois secondes ? » Kris attrapa le bras de son frère alors qu’il s’avançait
« Tu rentres ou je te fais rentrer… Ton choix ! » Autant leur mère était la personne la plus crainte de la famille autant Kris avait hérité de son regard qui te faisait bien sentir que si elle te disait que tu finirais dans un bain d’acide, tu finirais vraiment dans un bain d’acide !
« Je vais rentrer c’est mieux, et je me lève tôt demain ! Embrassez les parents pour moi. » Elle n’avait pas laissé le temps à quiconque de réagir qu’elle avait rejoint sa voiture.
Pendant le trajet la conversation ne cessait de tourner dans sa tête, elle se refaisait l’action encore et encore… Elle exécrait devoir mentir à sa famille, mais comment pouvait-elle leur dire la vérité ? Les bon pensants diront qu’il suffisait d’ouvrir la bouche et d’aligner les mots les uns derrière les autres… Mais ses bonnes âmes avaient-elles étaient au moins une fois dans sa situation ? Il est bien plus facile de juger que d’essayer de comprendre. Il n’est inscrit sur le front de personne leurs défauts et déviances… Tout commence toujours par un petit rien… Une dispute qui éclate et un revers de main qui vient involontairement percuter votre lèvre… Ce n’était qu’une fois, un geste non prémédité, ça arrive… Et puis la deuxième fois vous vous retrouviez avec une marque sur le bras parce que ce soir-là il avait été un peu trop brusque… La fois d’après c’était à cause de l’alcool… La fois suivante votre attitude qui laissait objectivement à désirer… Il y avait toujours une bonne raison sous-jacente, et puis il y avait toujours des excuses, des remords qui semblaient si sincère… Vous vous mettiez à croire que ça serait la dernière fois, il y avait ces phases de répits ou tout semblait parfait… Vous vous mettiez à croire que vous étiez en partie responsable, vous l’aviez peut-être inconsciemment provoqué… Complètement happé par le flot de ses pensées, l’angoisse, la peur, le doute, le mélange ultime pour ne pas avoir un temps de réaction aussi vif qu’à l’accoutumé. Elle avait évité de justesse une voiture qui avait pris sa voie pour la sienne, mais n’ayant pas réussi à redresser à temps elle se retrouva à dévaler une légère falaise pour atterrir dans l’eau froide écossaise. Le dernier souvenir qu’elle avait fut la sensation d’oppression provoqué par l’eau et le manque d’oxygène… Elle venait de frôler la mort ! Alors non elle n’avait pas vu de long tunnel avec la lumière blanche, mais pour une fois dans sa vie, elle avait eu de la chance…
Edimbourgh ; Appartement n°67 ; De nos jours ; 21h32 Un jour elle aurait le temps de se poser plus de cinq minutes… Un jour… Aujourd’hui encore elle avait dû faire la fermeture du spa toute seule… Joie Bonheur ! C’était toujours mieux que rien… Après ses études elle avait eu des remplacements à droite et à gauche mais rien de fixe, pas le mieux pour envisager son avenir et boucler ses fins de mois. Alors quand il y a deux ans on lui avait proposé un poste de masseuse dans un spa de luxe elle avait sauté sur l’occasion… C’était un univers qui n’était pas du tout le sien mais elle était là uniquement pour son salaire à la fin du mois et elle récoltait des généreux pourboires, alors il y avait pire… Ouais sa responsable qui lui parlait toujours avec lenteur en lui demandant si elle avait tout compris… Okay… Mais sinon elle parlait la même langue et les mots de plus de trois syllabes elle en connaissait aussi… Elle supportait aussi les remarques plus clichées les unes que les autres seulement parce qu’elle était outrageusement bien payée pour ce qu’elle faisait… Et puis elle crachait dans son café quand elle lui en rapportait, ça compensait… Elle balança sa tenue de travail, pour prendre une douche en vitesse. Elle venait à peine de finir de se rhabiller que sa sonnette retentit
« C’EST OUVERT ! » Ses deux sœurs entrèrent dans son appartement, elle continuait de rassembler ses affaires
« Bonsoir à vous…. » « Jo tu reconnais ça… » Kris désigna la veste en cuir qu’elle portait, oui elle la reconnaissait très bien pour l’avoir emprunté et remise à sa place en tout discrétion et sans permission…
« T’aurais pu demander ! » « De quoi ? J’ai fait quoi encore ? Non je dirais plutôt de quoi tu m’accuses encore ? Tu connais la présomption d’innocence ? On n’accuse pas quelqu'un sans preuve ! Franchement c’est horrible ça se fait pas... » « Il a l’odeur de ta lessive... » « Trop le laïus c’est ça ? » « Légèrement ! Mais tu me dois une veste ! Non je n’ai pas oublié celle que tu m’as ruiné la semaine dernière ! » Ah bah merde elle l’avait pas oublié...
« Et oublie pas mes chaussures ! » ah bah Pearl non plus
« T’es au courant que nos armoires ne sont pas en libre-service ? » « Ouais... Comme mon frigo ! » « Tu mangeras jamais tout ça... C’est ce que font les sœurs... elles s’entraident ... Tu devrais me remercier ! » Jo resta interdite quelques secondes avant d’exploser de rire, vraiment elle se demandait ce qu’elle ferait sans ses sœurs. Elle penserait à lui acheter une médaille de la sœur de l’année pour Noël.
« Bon je reviens j’en ai pour deux heures max ! » « Je comprends même pas que tu fasses du domicile le soir… » « Pour gagner plus d’argent ! Love you ! » Elle avait attrapé son sac ferma la porte pour la rouvrir quelques secondes plus tard
« Et on ne donne pas de sucre au chien, on ne lui apprend pas à mordre dès qu’on dit attaque et par pitié on ne lui fait pas faire ses besoins sur le paillasson du voisin ! Oui il est con mais les autres habitants de l’immeuble ne méritent pas ça ! » Pourquoi n’avait-elle aucune confiance dans le regard qui se voulait totalement innocent et angélique de ses sœurs ? Ah bah parce qu’il s’agissait de ses sœurs justement ! Pour le coup elle pouvait les remercier de faire du dogsitting. Il était bien trop jeune pour qu’elle laisse son chien seul à l’appartement… Elle l’avait fait… Une seule et unique fois ! Officiellement elle faisait des consultations à domicile, officieusement, elle allait dans un groupe de soutien et de parole de femmes et hommes battus. Cela faisait trois mois maintenant qu’elle avait réussi, non sans mal à quitter son ex. Certes elle regardait toujours par-dessus son épaule et s’attendait toujours à le croiser au détour d’une rue, mais elle avait réussi à partir et ne pas replonger surtout. Elle avait aussi adopté un chien, un magnifique rottweiler qu’elle avait appelé Maui, hommage à ses origines pour bien faire cliché, et elle avait franchi le cap des réunions de soutien. Elle avait bien mis quinze jours avant de franchir la porte d’entrée, le temps qu’elle arrive à reconnaître qu’elle et les personnes qu’elle voyait assises, avaient une expérience commune à partager. Elle n’était pas du genre à s’épandre, elle n’avait encore jamais parlé de son vécu, mais écouter les autres, entendre les échanges l’aidait à accepter.
« Bienvenue à tous et toutes, nous allons commencer… » .